L'ÂGE DE L'ABONDANCE
Exposition des icônes contemporaines
par Alexandre Arminjon
2 juin 2021 – 25 octobre 2021
Icônes modernes d’Alexandre Arminjon,
lumières d’un monde vacillant
Photographe du désert de l’Atacama, auteur d’une série de portraits du monde iranien contemporain et attaché au procédé de solarisation qu’offre la photographie argentique, Alexandre Arminjon présente aujourd’hui une surprenante série d’icônes, faites de panneaux de bois, d’or et de tirages photographiques. Ces icônes sont autant de miroirs nous invitant à repenser le rôle de l’image à l’heure où les réseaux sociaux déversent des flots de clichés aussi percutants qu’éphémères.
Un photographe alchimiste
Pénétrer dans l’atelier d’Alexandre Arminjon, c’est s’immiscer dans l’univers d’un photographe alchimiste. Tirages photographiques suspendus ou enfermés dans des bacs animés d’étranges bulles, machines sublimes et inquiétantes avec leurs optiques de cyclopes et poudres métalliques contenues dans des pots aux étiquettes ésotériques, habitent son espace de création. Non loin de l’ancienne maison de Nicolas Flamel, l’atelier d’Alexandre Arminjon est jonché de planches de bois recouvertes de peintures métalliques. Fer, cuivre et or illuminent ses panneaux qui deviennent les supports de tirages, découpés puis cloués. Accrochées au mur, ces icônes semblent presque apaisées. L’or subjugue et les motifs géométriques dessinent des cadres rassurants. Mais tout s’avère en tension. Les arcs de cercle qui rappellent les voûtes en plein cintre de l’architecture romane contrastent avec les clichés de façades modernes dont les trames tracent d’angoissantes cases. Au centre de l’icône apparaît une image étrangement familière : homme politique, star de cinéma ou encore joueur de foot. Issus des réseaux sociaux et des médias, ces photographies semblent s’être d’abord imprimées dans notre esprit qui reconnaît dans ces tirages transfigurés l’écho d’une actualité brutale et fugace.
Une hagiographie critique de notre époque
Les œuvres d’Alexandre Arminjon révèlent nos icônes contemporaines sous un jour ambigu. On devine la famille Kardashian, l’acteur Léonardo Dicaprio, le nouveau Président des États-Unis, mais aussi des anonymes devenus tristement célèbres, à l’image du jeune syrien Aylan Kurdi échoué sur une plage, ou d’un supporter de Donald Trump coiffé de ridicules et tragiques cornes bafouant le capitole. À travers ses icônes, l’artiste dévoile un panthéon hétéroclite, en se gardant de tomber dans un discours moralisateur ou binaire. À l’image des nuances qu’offre la photographie argentique, son monde est contrasté et complexe. Le sourire figé de Mark Zuckerberg renvoie tout autant au succès enviable d’un brillant jeune homme qu’à la perversité d’une machine numérique aveuglant ses usagers. Des thèmes se dessinent : la superpuissance des États-Unis en état d’hubris, l’Église dans son ambivalence entre charité et prédation, mais aussi la fraude, qu’elle soit fiscale ou intellectuelle. Souvent, dans un registre inférieur, des prédelles enchâssent d’autres images, plus petites, offrant une nouvelle lecture. Ainsi apparaît le portrait du journaliste Jamal Khashoggi, jouxtant la photographie du prince Mohammed ben Salmane enlaçant le président Macron. À l’aide d’ingénieux polyptiques, Alexandre Arminjon déploie une véritable narration. Dans un grand triptyque, Patrick Poivre d’Arvor, lui-même icône contestée, nous invite à regarder les violences des gilets jaunes. Mais où se trouve la brutalité ; dans les forces de l’ordre, parmi ces gilets jaunes ou dans notre regard inquiet et satisfait d’avoir momentanément échappé à la crise ? Habituellement observées dans des musées aseptisés ou des églises désertées, les icônes que donne à voir Alexandre Arminjon dérangent. Il ne s’agit plus de saints chrétiens mais de nous, dont il est question et le regardeur n’est pas épargné. Ces produits de luxe qui soulignent la polarisation des richesses sont bien ceux de notre monde.
La lumière comme matière
Tel Janus tourné à la fois vers le passé et l’avenir, ces icônes inscrites dans notre époque convoquent une tradition pluriséculaire. De même que la sacralité des icônes religieuses réside dans la méticulosité de leur réalisation, de même, les œuvres d’Alexandre Arminjon témoignent d’un soin extrême accordé à la peinture dont les multiples couches deviennent épaisseurs, aux feuilles d’or soigneusement appliquées, à l’équilibre des compositions et à la matérialité des panneaux destinés à traverser le temps. En photographe-plasticien, il incarne dans des œuvres pérennes des clichés voués à disparaître dans un nuage numérique. Son travail d’alchimiste devient remède. Il lutte contre la fugacité d’images qui saturent notre espace mental, apparaissant continuellement sur ces vilaines greffes que sont nos téléphones portables. Car notre époque où l’image domine est aussi iconoclaste. Il n’est plus nécessaire de briser des statues ou de détruire des peintures pour effacer les visages. L’étourdissante vitesse à laquelle l’information jaillit fait bientôt disparaître les images qui, hier encore, suscitaient l’indignation de tous. Les icônes que proposent Alexandre Arminjon invitent à une méditation, elles suspendent le temps, ou du moins le ralentissent. Car avec malice, l’artiste souligne que tout disparaît, lentement les métaux s’oxydent, les tirages changent de tonalité et les panneaux passent de mains en mains, se patinant avec le temps. Seul l’or reste. Il renvoie la lumière, celle du soleil qui permet la photographie, celle d’un vernissage électrisant ou d’une bougie qui appelle une lecture méditative. En se fondant sur une tradition vivante, Alexandre Arminjon nous offre avec ses icônes un antidote à l’éphémère, une invitation à l’introspection.
Sébastien Cherruet, 3 juin 2021
Docteur en Histoire de l’art de l’Université Panthéon-Sorbonne, Sébastien Cherruet est le commissaire d’exposition de
L’Âge de L’Abondance. Sébastien est responsable adjoint du mécénat pour le groupe LVMH. Commissaire du parcours permanent Frank Gehry à la Fondation Louis Vuitton, il a également signé la scénographie de l’exposition consacrée à Charlotte Perriand, en 2020, dans la même institution.